Société

350 raisons d’aimer la ville du Cap-Haïtien

Les Amérindiens l’appelaient Guarico. Les colons, qui fantasmaient sur un « Paris à Saint-Domingue », la nommeront Cap-Français. Des années plus tard, elle deviendra tour à tour Cap-Haïtien, Cap-Henri et à nouveau Cap-Haïtien. Cependant, pour la plupart d’entre nous, cette ville mythique, qui a servi d’inspiration à de nombreux artistes et écrivains, s’appelle Okap.

Alors que 350 bougies se sont allumées sur le gâteau d’anniversaire du Cap, le temps est venu pour moi de lui parler d’amour.

Après tant d’années d’« exil occidental », le moment est venu pour moi de fouler à nouveau le sol de la ville natale de ma défunte mère grâce à ma plume.

La solidarité des gens du Nord

Trois cent cinquante ans ! La plus vieille et la plus belle.

Quand on sait que Toussaint Louverture, l’un des plus grands révolutionnaires de tous les temps, est né au Cap-Haïtien, toutes les raisons sont bonnes pour visiter cette ville, qui est à la fois un musée et un livre d’histoire, où se lisent à ciel ouvert les guerres de la Révolution haïtienne.

Nul ne peut prétendre que Okap est exempte du déclinisme haïtien ; cependant, force est d’admettre que malgré ses nombreuses résistances face aux grands périls du temps – domination coloniale, incendie majeur en 1802 et tremblement de terre dévastateur en 1842, elle garde la forme.

Comme l’a si bien dit le chanteur Giordany Joseph, « les Gens du Nord ouvrent leur porte à ceux qui ont souffert. Les Gens du Nord n’oublient pas qu’ils ont connu des années d’enfer… ».

Que l’on soit de l’Acul-du-Nord, de Quartier Morin, de Pignon ou de Limbé, lorsqu’on entend les paroles de cette belle chanson écrite par le chanteur franco-algérien Enrico Macias et reprise par l’Orchestre Tropicana d’Haïti, on esquisse un sourire de fierté et on pense à Cap-Haïtien.

Que l’on soit de Grande-Rivière-du-Nord, de Limonade, de Plaisance, de Dondon ou de Port-Margot, il est difficile de ne pas éprouver un sentiment d’appartenance à l’égard du Cap, le chef de file du Grand Nord.

À vrai dire, il n’y a pas que les Capois et les gens du département du Nord qui devraient être fiers de cette ville magnifique, qui est connue pour sa combativité et sa soif inextinguible pour l’autodétermination.

Quand on connaît le lieu où s’est déroulée la dernière bataille pour l’indépendance, on se dit que la population haïtienne, l’Amérique latine de Simon Bolivar ainsi que les amants de la liberté ont plus de 1804 raisons d’aimer le Cap-Haïtien et les Capois.

Quand on sait que Toussaint Louverture, l’un des plus grands révolutionnaires de tous les temps, est né au Cap-Haïtien, toutes les raisons sont bonnes pour visiter cette ville, qui est à la fois un musée et un livre d’histoire, où se lisent à ciel ouvert les guerres de la Révolution haïtienne.

L’unicité du Cap

Personnellement, mon histoire d’amour avec le Cap a commencé dès ma naissance : ma mère se faisait un devoir d’inculquer la fierté christophienne à ses enfants. Nous passions nos vacances d’été dans la ville aux anciennes maisons très colorées.

Je me souviens que lorsque nous parcourions les quelque 250 kilomètres qui séparent Okap de Port-au-Prince, j’avais toujours l’impression que nous quittions Haïti. Car, voyez-vous, sans vouloir diffuser des idées sécessionnistes à mes kinanm, pour moi, le Cap était un autre pays qui disposait de sa propre culture, de sa propre langue et de ses traditions assises sur des valeurs historiques et morales.

Parlant de langue, comme vous le savez tous, les Capois vous accueillent en chantant, vous racontent leur journée en chantant, vous répondent en chantant…

Bref, leur accent représente une mélodie dotée d’un extraordinaire pouvoir de séduction : dans une conversation avec une Capoise ou un Capois, on se soucie peu de l’intercompréhension linguistique, on est hypnotisé par les expressions idiomatiques et on essaie d’interpréter les mots « akem », « kinanm », « kannik » et « kaderik ».

Autrement dit, la beauté du Cap plaît aux yeux, son parler charme l’âme.

Vous comprenez donc un peu pourquoi les chanteurs Roger Colas, Giordany Joseph, alias « Gros Monsieur », Toto Bissainthe et Arly Larivière ont séduit des millions d’Haïtiens.

On ne peut certes pas rendre hommage à Cap-Haïtien sans parler de la rivalité qui existe entre l’Orchestre Septentrional et l’Orchestre Tropicana d’Haïti. Ces deux ambassadeurs de la musique haïtienne, qui ont bercé notre jeunesse, constituent indubitablement la grande panacée capoise.

Capois de la communauté diasporique, vous souvenez-vous des longues balades du dimanche sur le Boulevard et sur la Place Notre-Dame?

Et que dire des belles soirées au « Feu-Vert Night Club »?

Les gros noms du Cap-Haïtien

Permettez-moi d’ajouter que si vous aimez le football, vous serez en admiration avec le Cap-Haïtien, et vous serez étonné de savoir que Frantzie Mathieu, Ernst Jean-Joseph, Claude Barthélemy, ainsi que Serge Célestin, des grands du football haïtien, sont nés ou ont été formés au Cap.

Or, aujourd’hui, pour ses 350 ans, le plus beau cadeau qu’on pourrait lui offrir serait de lui accorder un peu plus d’attention, car ce patrimoine national est malheureusement négligé.

Dans « Bamboche Créole », un succès du groupe musical Gemini All Stars, Ti Manno, une légende de la musique Konpa, décrit parfaitement l’ambiance chaleureuse et conviviale de la ville du Cap durant les vacances estivales.

Et aller bambocher au Cap en ignorant le Palais Sans-Souci et la Citadelle La Ferrière constitue une atteinte au patrimoine culturel, un manque d’égards à l’endroit du roi Henri Christophe, le plus grand bâtisseur qu’ait connu Haïti.

Mais au-delà du passé glorieux et du patrimoine bâti, qui ont contribué à faire du Cap la « Capitale historique d’Haïti », il y a le Cap intellectuel.

En effet, peu de villes des Caraïbes peuvent se vanter d’avoir vu naître ou développé autant de cerveaux : rapidement, on n’a qu’à penser à Anténor Firmin, à Jean Demesvar Delorme, à Claude Vixamar et à Oswald Durand, qui est l’auteur du premier hymne national haïtien – Quand nos Aïeux brisèrent leurs entraves.

Et il est légitime d’inclure dans cette liste impressionnante le Dr Jean Price Mars, qui est né à la Grande-Rivière du Nord, mais qui a fait une bonne partie de ses études secondaires au lycée Grégoire du Cap-Haïtien.

C’est un peu ça le Cap-Haïtien. Une ville charismatique, qui a été de tous les combats pour la libération du Peuple haïtien. De la période coloniale à la période de l’indépendance jusqu’à l’ère duvaliérienne.

Or, aujourd’hui, pour ses 350 ans, le plus beau cadeau qu’on pourrait lui offrir serait de lui accorder un peu plus d’attention, car ce patrimoine national est malheureusement négligé.

Nous devons exhorter le gouvernement à prendre soin de l’ainée de la famille.

En conclusion, un étranger peut aimer Okap pour son exotisme et ses atouts touristiques, un archéologue pour son patrimoine bâti, mais moi, je l’aime sans raison, parce que je suis né en elle, je suis un morceau de sa chair.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

2 Commentaires

  1. Si m fin li bèl tèks m ba di w yon kout ayibobo pou travay kòdjòm sa, fòk mwen pa moun okap.
    Epi w montre nan sa w ekri a renmen ki nan kè w pou lakay, sa montre ke se sikonstans pafwa ki fè nou kite lakay pou n al chèche lavi miyò.
    Mwen konnen sa dechire anpil ayisyen ki kouri kite lakay his paske nou gen anpil politisyen koupyon ki pa pwan responsablite yo lè yo monte sou pouvwa, se sa k fè lakay vin lague 2 bwa balanse e sa vin dekouraje anpil moun.
    Ebyen ak fyète m ap m ap remèsi w pou renmen sa ki inèt ki sòti nan kè w.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Map diw yon gwo mèsi Laventure epi ake yon gwo ayibobo pou Okap an nou. Monchè politisyen yo pa bon vwe men fòk nou menm tou nou eseye chanje mantalite nou tou. Fòk nou montre plis fyète ak peyi nou.

      Mwen te byen kontant echanje akew Laventure. À bientpot !

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