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France-Maroc : de la colonisation de l’Afrique au déni de l’africanité


Pour de nombreuses personnes d’ascendance africaine, la demi-finale opposant la France au Maroc représente un véritable casse-tête identitaire. Certaines d’entre elles voudraient bien se ranger du côté du Maroc, mais une déclaration pro-arabe les refoule. D’autres qui se souviennent du passé colonial rejettent systématiquement l’équipe française. Qui a dit qu’on pouvait séparer le sport de la politique ?

En réalité, la politique s’invite régulièrement dans les grands rendez-vous sportifs, plus particulièrement dans le football.

Maradona, l’Argentine, l’Angleterre et la guerre des Malouines

Comme exemple, on peut citer le quart de finale entre l’Argentine et l’Angleterre, lors du Mondial 1986, soit quatre ans après le conflit des Malouine, où près de 700 soldats argentins sont tombés sous les balles britanniques.

Après ce match historique, Diego Maradona, qui a permis à l’Argentine de l’emporter 2-1 sur l’Angleterre grâce à un doublé en deuxième mi-temps, a déclaré ceci à la presse : « Pour nous, il n’était pas question de gagner un match, il s’agissait d’éliminer les Anglais. On voulait rendre honneur à la mémoire des morts. »

Diego Maradona lors du Mondial 2022

Et, en dépit du racisme très profond de l’Argentine, les Haïtiens désiraient que Maradona élimine les Anglais, cette sélection qui symbolisait l’impérialisme occidental et qui préconisait un style de jeu ennuyeux et simpliste.

Or, aujourd’hui, les ardeurs anti-impérialistes de certaines personnes noires du Québec et de l’Afrique ont été ralenties par des propos qui frisent l’oblitération à leur égard.

Les Maghrébins s’identifient-ils à l’Afrique ?

En effet, en déclarant que la victoire du Maroc sur l’Espagne « appartient à tous les peuples arabes et musulmans », l’attaquant Sofiane Boufal a levé le voile sur un problème complexe de l’Afrique du Nord.

Le problème de l’Afrique du Nord, c’est que la majorité de ses citoyens s’identifient davantage comme Arabes ou Arabo-Musulmans qu’Africains.

En fait, ce problème dépasse les frontières nord-africaines : que ce soit en Amérique ou en Europe, les gens classent à tort les pays de l’Afrique du Nord (Tunisie, Libye, Maroc, Égypte et Algérie) dans le groupe du Moyen-Orient.

Dans l’imaginaire collectif, un Africain ne peut être autre que Noir.

Il convient également de souligner que Walid Regragui, le sélectionneur du Maroc, a tenu des propos plus rassembleurs en disant qu’ils ont hissé le drapeau marocain, celui de l’Afrique et des pays arabes.

Cependant, sans vouloir défendre Sofiane Boufal, s’identifier à l’Afrique n’est peut-être pas naturel pour le joueur marocain, tout comme il n’est pas naturel pour un Haïtien, un Martiniquais ou un Jamaïcain de se définir comme étant Américain.

Par exemple, si un footballeur haïtien déclarait à la presse qu’il dédiait la victoire de son équipe à Haïti, au peuple noir et à l’Amérique, beaucoup de ses supporteurs seraient choqués. Ils aimeraient qu’il remplace l’Amérique par les Antilles.

Un exemple encore plus frappant est celui de la Guyane française, du Guyana et du Suriname. Bien que ces pays soient situés dans l’Amérique du Sud, ses habitants n’affichent aucune appartenance au continent de Bolivar, mais bien aux Antilles, dont ils partagent la culture : nourriture, musique et événements festifs.

« Kouri pou lapli, tonbe nan rivyè »

Cela dit, je comprends le mécontentement des membres des communautés noires qui ont été blessés par le discours de Boufal, mais nous devons constater que, quel que soit le chemin que l’on prend, cela nous mène à un monde de déception, de racisme et de rejet.

Comme le dit le proverbe haïtien : « Kouri pou lapli, tonbe nan rivyè », c’est-à-dire qu’en cherchant à éviter la pluie, on tombe dans la rivière.

Autrement dit, en évitant les griffes du déni des Lions de l’Atlas, on tombe dans le passé sombre et colonial des Bleus.

Nous nous attachons à des équipes comme le Brésil et l’Argentine, qui n’en ont rien à cirer des Noirs.

Personnellement, je voue une grande admiration à Kylian Mbappé, mais cette admiration se limite à son talent, elle ne le suit pas sur les pelouses de la Coupe du monde.

Voyez-vous, j’ai beaucoup de difficulté à m’attacher à une sélection dont le pays a piégé et capturé de manière machiavélique le héros de ma nation, Toussaint Louverture, pour le laisser mourir dans une cellule du fort de Joux.

Que l’équipe française soit majoritairement composée de joueurs d’origine africaine ou antillaise, elle ne peut pas me faire oublier les atrocités commises durant la colonisation.

Comment les Haïtiens peuvent-ils confusément demander à la France de leur rembourser la dette de l’indépendance, qui a appauvri Haïti, et applaudir les exploits des Bleus durant la Coupe du monde ?

Cette incohérence constitue un bel exemple de notre schizophrénie identitaire.

Notre amour pour les sélections nationales est trop souvent à sens unique, car il y a un manque de réciprocité de la part de ces puissances du football.

Permettez-moi de préciser ma pensée en vous posant la question suivante :

Lorsque le Sénégal a remporté le premier titre de Coupe d’Afrique des Nations de son histoire, les Argentins, les Brésiliens ou les Italiens sont-ils descendus dans la rue pour célébrer la victoire sénégalaise ?

Je réponds non.

Pour conclure, je dirais que chacun est libre de soutenir l’équipe de son choix. Une victoire française valoriserait le talent des joueurs noirs. Et une victoire marocaine signifierait l’élimination du colon.

Et mon petit doigt m’a dit que la plupart des membres de la communauté noire de Montréal misent sur la défaite du colon.

Et vous, quel est votre choix ?


Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.


Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

3 Commentaires

  1. Moi frère, j’ai décidé d’appuyer le talent de mes frères africains dans la sélection française, donc demain je suis la France, pour la gloire de mes frères noirs et de leurs talents spectaculaires…

    • Walter Innocent Jr. Répondre

      Je vous comprends, Maillou. Cette façon de voir les choses est justifiable. Merci pour votre commentaire et à bientôt.

      • Le commentaire ne m’a pas froissé du tout. Cette victoire est en effet ,une victoire pour les arabes et les musulmans. Les arabes ne se voient pas Africains ils le proclame que quand ça leur arrange de le faire. Dans certains de leurs pays , il y a encore de l’esclavage des noirs! J’appelle la France, Francafrique et prend pour eux non par confusion identitaire mais par amour pour mes frères.

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