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Haïti : quand la population se fait justice, l’anarchie sourit


En début de semaine, plus d’une douzaine membres présumés d’un gang criminel ont été lapidés et brûlés par des habitants de Canapé-Vert, un quartier de Port-au-Prince. La violence est devenue la seule réponse de la population haïtienne, qui est lasse de subir la violence et les pressions des gangs de la Première République noire.

Saluée par la diaspora haïtienne, cette mobilisation collective, qui est vite devenue un symbole de résistance à la terreur des gangs de Port-au-Prince, a fait le tour du monde.

Revenons sur les événements qui ont fécondé la révolte du peuple.

Le 24 avril, des membres de bandes armées ont pris d’assaut nuitamment des quartiers résidentiels – Tugeau, Pacot, Debussy et Canapé-Vert – de la capitale, se livrant en roue libre à des actes de violence et de pillage dans des maisons qu’ils choisissaient au hasard.

Des habitants du Canapé-Vert ont affirmé avoir été réveillés par les tirs nourris des gangsters vers 3 h. Or, quelques heures plus tard, ces résidants ont appris que des policiers ont intercepté des voyous qui se trouvaient dans un minibus qui circulait dans leur quartier.

Ne pouvant repousser la foule qui réclamait les bandits présumés arrêtés, la police est revenue sur l’idée d’amener ses suspects au commissariat et a cédé à la pression populaire.

C’est ainsi que les habitants de Canapé-Vert se sont rendu justice eux-mêmes en battant sauvagement leurs captifs avant de les brûler sans autre forme de procès, comme à l’époque du Père Lebrun, soit le supplice du pneu enflammé, qui est apparu en Haïti à la fin des années 1980.

« Pour moi, ce que nous avons accompli constitue un sentiment de joie, une victoire pour Canapé-Vert, car cela montre aux autres (membres de gangs) ce qui peut leur arriver s’ils se rapprochent de notre quartier », a déclaré un habitant de Canapé-Vert, qui a été interviewé par un journaliste de Télé Pacific.

Une partie de moi se réjouit de la solidarité et du courage des gens de Canapé-Vert, qui se sont tenus debout devant des membres présumés de gangs pour assurer la sécurité de leur quartier; mais l’autre partie s’inquiète des dérives anarchiques que pourrait provoquer la création de milices citoyennes en Haïti.

Oui, je sais, Haïti est déjà considérée comme un pays sans loi, où règne l’instabilité et où les autorités et les gangs armés s’enchevêtrent. Toutefois, il importe de reconnaître que si la population devait se joindre à cette orgie de désordre et d’abus, notre Haïti chérie traverserait inévitablement une crise suicidaire.

Autrement dit, la prodigalité en ce qui concerne la distribution d’armes à feu en Haïti atteindrait un niveau inégalé depuis sa fondation, et cette situation provoquerait un quasi-anéantissement de Port-au-Prince, voire du pays en entier.

Loin de moi l’idée de minimiser les monstruosités commises par les bandes criminelles, mais je me demande simplement si le rétablissement de l’ordre public en Haïti passe par l’armement des filles et fils de Dessalines.

Selon des rumeurs qui circulaient, hier, des Pétionvillois ont contacté des personnalités de la diaspora haïtienne dans le but de récolter des fonds pour soutenir financièrement des brigades permanentes, composées de jeunes armés, qui assureraient la sécurité de leur ville.

On parle ici de jeunes gens sans formation en techniques policières et en respect des règles de droit, dépourvu de la capacité de déceler un événement suspect sans tomber dans l’arbitraire, dans les pièges du profilage social et culturel.

À la fin des années 1960, les tontons macoutes de Duvalier arrêtaient et punissaient injustement des jeunes gens qui portaient la coiffure afro en les associant au communisme cubain et au mouvement révolutionnaire Black Panther Party.

Et comme vous le savez, de nombreux autres innocents ont été torturés et tués durant cette période marquée par le caporalisme des macoutes, comme Tiboo et Boss Peintre.

Certes, je souhaite que tous les gangsters qui menacent la quiétude des citoyens de Port-au-Prince soient punis sévèrement, mais en contournant les procédures judiciaires, nous risquons de voir des pneus autour du corps de gens sans histoire.

Et personne n’est à l’abri de ces sentences appliquées sommairement par la foule.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

1 Commentaire

  1. C’est terrible, la « justice » de la foule…. Quelle violence et ce de la part de simple citoyen c’est horrible, même pas de procès, c’est une mort atroce qui ne peut pas laisser indifférent tellement c’est horrible, et dire que de simple citoyen sont capable de pareille atrocité c’est effrayant

Répondre A Ginette olsen Annuler la réponse