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Jordan ou Lebron : un débat stérile qui divise les Noirs américains

Qui est le plus grand joueur de tous les temps, Michael Jordan ou Lebron James ? Il ne se passe pas un jour, pas une heure, peut-être pas une minute sans que cette question revienne. Et il ne fait aucun doute que la présence du film The Last Dance sur Netflix est venue mettre l’huile sur ce débat enflammé.

Qui a été le meilleur entre Pelé et Maradona ? Wayne Gretzky ou Mario Lemieux ? Floyd Mayweather Jr aurait-il pu battre Sugar Ray Leonard ?

S’il est une activité qui ne manque pas d’alimenter les conversations dans le monde du sport, c’est bien celle d’établir le classement des plus grands athlètes, de désigner la crème de la crème de ces hommes et femmes que nous adorons.

En dehors des terrains, ces dieux du stade nous accompagnent dans notre quotidien, leurs moments de gloire se faufilent dans notre vocabulaire et font partie intégrante de notre joie de vivre.

Il s’agit manifestement d’un tribalisme qui pourrait avoir des répercussions très profondes sur l’esprit fraternel des Noirs américains.

Michael Jordan et l’un de ses célèbres dunks

Cependant, dans ce débat explosif en cours, concernant le ballon orange et l’acronyme « GOAT » – Greatest of All Time, je crois que la population noire des États-Unis fait fausse route en y prenant part.

Je m’explique.

Dans un pays où un homme noir ne peut faire son jogging sans risquer de se faire tuer en raison de la couleur de sa peau, il est insensé que les échelons que devraient occuper des athlètes noirs dans la hiérarchie des légendes de la NBA soient une préoccupation nationale.

Dans une société où le manque flagrant de représentativité des personnes noires dans plusieurs sphères d’activité persiste, il me paraît réducteur de demander à des commentateurs sportifs et des fans de la communauté noire de faire le choix entre Michael Jordan et Lebron James, alors que les blessures des tensions raciales n’ont jamais été guéries.

Quand un candidat à la présidence se permet de s’aventurer dans l’eugénimse en déclarant « Si vous ne votez pas pour moi, vous n’êtes pas un vrai Noir », les Afro-Américains doivent tenir un vrai débat, non sur les plus grands joueurs de la NBA, mais sur Joe Biden, Donald Trump et les autres privilégiés de l’Oncle Sam.

C’est donc dans cet esprit que je dirige mes pensées vers la famille et aux proches de Ahmaud Arbery, victime d’un acte raciste et odieux.

J’avoue qu’au début de la polémique entre Air Jordan et King James, je me suis prêté avec grand plaisir au jeu des comparaisons en revisitant les plus beaux moments de ces deux athlètes hors pairs.

Mais aujourd’hui, l’omniprésence de ce débat stérile dans l’univers médiatique et les réseaux sociaux suscite en moi une inquiétude quant à l’unité dans les communautés noires.

En réalité, on pousse l’Amérique noire à trancher entre un grand frère et un petit frère.

Il s’agit manifestement d’un tribalisme qui pourrait avoir des répercussions très profondes sur l’esprit fraternel des Noirs américains.

Air Jordan et King James

Est-ce la première fois que les liens de solidarité qui devraient être la base d’une Amérique noire forte et prospère se délitent sous nos yeux ?

Malheureusement, non !

Les maîtres-penseurs de la tactique « diviser pour mieux régner » ont l’habitude d’utiliser le sport et la musique pour nous apprivoiser.

Je ne le dirai jamais assez : on ne peut examiner profondément la dislocation du tissu fraternel de l’Amérique noire sans s’interroger sur l’influence des médias sur ce problème.

D’ailleurs, plus j’analyse le débat du GOAT, qui se trouve ravivé par le film The Last Dance, qui souligne le dernier tour de piste de Jordan et ses acolytes en 1997, plus je pense aux rappeurs Biggie Smalls et Tupac, qui ont également fait leur dernière danse au cours de cette même période.

Ce n’est un secret pour personne : dans le monde du hip hop, la disparition de ces deux icônes de la musique rap, tuées par balles, est régulièrement associée à la rivalité malsaine entre la côte Est et la côte Ouest, deux solitudes majoritairement composées de fans afro-américains.

Et nul besoin de vous dire que ce conflit fratricide a été alimenté par les médias, qui en ont tiré profit.

Biggie Smalls et Tupac

Or, aujourd’hui, comme dans la Rome antique, où l’empereur organisait des jeux impliquant des sensations fortes afin d’amadouer le peuple, le réseau ESPN et d’autres médias d’envergure se servent de Michael Jordan et de Lebron James pour nous détourner des enjeux importants touchant la population noire.

La question raciale semble être tombée sous la loi du silence, au moment même où le racisme gagne du terrain.

Par ailleurs, n’est-il pas fascinant de constater que lorsqu’il s’agit de désigner le meilleur joueur de tous les temps dans le baseball, une passion nationale, Babe Ruth, le héros emblématique des Blancs américains, fait l’unanimité auprès des médias ?

On ne touche pas au « Bambino » ( Babe Ruth ), en dépit des statistiques impressionnantes de Barry Bonds et de Willie Mays, deux légendes afro-américaines du Major League Baseball, qui démontrent clairement qu’il y a matière à débat.

Autre point à ne pas négliger : aujourd’hui, si le visage de la NBA est noir, il n’y a pas si longtemps, dans les années 50 et 60, son cœur n’était guère ouvert aux joueurs noirs.

À cette époque, qui était marquée par la ségrégation raciale et le mouvement des droits civiques de Martin Luther King, les propriétaires d’équipes de la NBA ont édicté une règle non écrite selon laquelle seulement deux joueurs noirs étaient autorisés par équipe.

N’ayant pas le droit de marquer des points pour ne pas éclipser leurs coéquipiers blancs, la contribution de ces joueurs afro-américains était limitée aux passes et rebonds.

Avant de conclure, qu’il me soit permis d’inclure quelques chiffres dans ces écrits, afin d’assouvir la soif d’information factuelle des rigoristes du ballon orange.

6 fois champion de la NBA, 5 fois le joueur le plus utile de son équipe en saison régulière, 6 fois le joueur le plus utile en séries et 10 championnats des pointeurs. Avec des statistiques aussi révélatrices, j’ai ma petite idée à propos de ce fameux GOAT.

Cependant, l’idée qui m’enchante est celle de pouvoir dire que, depuis plus d’une quarantaine d’années, les Noirs dominent la NBA.


Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.

Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

2 Commentaires

  1. À la fin vous vous êtes pour Jordan. Ce qui rend contradictoire votre article.
    J’aime pas ce discours victimaire qui n’a pas sa place dans le sport. Faire une comparaison entre 2 stars , mais où est la division???

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Salut Lolo!J’ai toujours cru que Jordan a été le plus grand et j’ai déjà eu des débats sur le sujet. Mais quand on passe plus de temps à alimenter cette rivalité, on n’oublie les grands enjeux de notre communauté. On oublie qu’il y a beaucoup de George Floyd en Amérique du Nord.

      Merci pour votre participation, camarade.

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