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La langue des Haïtiens n’est pas le créole, mais bien l’haïtien


Sak Pase? Ces deux mots, comme vous le savez, chers amis, sont parmi les éléments constituant l’identité haïtienne à l’échelle mondiale. Que ce soit à Montréal ou à New York, des villes pourtant cosmopolites, dès qu’on entend cette expression idiomatique, on pense au créole… et à Haïti.

Tout comme vous, je croyais réellement que le créole était la langue des filles et fils de Dessalines. Et tout comme bon nombre d’entre vous, j’en étais fier.

Cependant, au fil des années, des réflexions approfondies sur ma langue maternelle m’ont poussé à suspecter l’harmonie intime entre la créolité et l’haïtiannité.

La diaspora haïtienne

Avant de vous parler plus en détail de mes cogitations, entendons-nous sur une chose : dans la formation d’une nation, la langue est un préalable indispensable. C’est un peu ce qui permet de forger une identité nationale.

L’IMPORTANCE DE LA  LANGUE DANS LA CONSTRUCTION D’UNE NATION

Par exemple, au Québec, à la fin des années 1970, pour consolider leurs démarches indépendantistes, les regrettés Camille Laurin et René Lévesque ont donné 101 arguments aux Gens du Pays pour passer une loi protégeant la langue française. Soit.

Or, quand je voyage dans le temps infernal de mes ancêtres, et que je visite l’intrépide Capois-la-Mort et Vertières, je découvre 1804 causes qui me permettent de croire que ma langue maternelle est l’haïtien.

Et à la lecture de l’Acte de l’Indépendance de la République d’Haïti, rédigé par Louis Boisrond Tonerre et prononcé par notre père Jean-Jacques Dessalines, j’affirme sans ambages que la langue des Haïtiens est l’HAÏTIEN.

Jean-Jacques Dessalines et l’Acte de l’Indépendance d’Haïti

Je parle l’haïtien, tu parles l’haïtien, il parle l’haïtien… Bref, n’est-ce pas puissant et rassembleur de pouvoir dire « nous parlons l’haïtien »?

C’est en tout cas l’une des plus grandes formes de nationalisme, une idéologie qui a malheureusement déserté la pensée haïtienne.

L’UNICITÉ DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE NOIRE

D’ailleurs, et parlant de conjugaison, une nation telle qu’Haïti, qui a conjugué les triomphes au pluriel, doit être reconnue au singulier.

Par le fait même, chers compatriotes et amis de la Cause haïtienne, nous devons nous poser cette question :

Pourquoi la langue de la première république noire, considérée comme la mère de la liberté, devrait-elle être confondue avec les multiples langues créolisées?

Des Martiniquais parlant le créole martiniquais

Selon une étude effectuée par le linguiste Ian Hancock, on dénombrerait 127 créoles à travers le monde.

Oui oui, chères lectrices et chers lecteurs! 127 différents créoles.

Dans ce cas, pour ne pas se perdre dans ce labyrinthe linguistique, on dira créole haïtien, créole martiniquais, créole jamaïcain, etc.

Ainsi donc, ces différents créoles ont leur base coloniale, c’est-à-dire qu’il existe le créole à base anglaise, française, espagnole portugaise et autres…

De toute évidence, la simplification s’avère un exercice compliqué dans l’univers des langues créoles.

NON AU CRÉOLE HAÏTIEN, OUI À L’HAÏTIEN

Aussi, n’est-il pas ironique de constater que l’Angleterre, la France et l’Espagne, les Trois mousquetaires du colonialisme, qui ont le monopole lexical de ces langues créolisées, ont été défaites par Ayiti?

La Bataille de Vertières

Eh bien, voilà! C’est l’une des 1804 raisons pour lesquelles nous, citoyens qui consommons fièrement et librement la soup joumou à chaque 1er janvier, devons choisir l’appellation « haïtien » comme langue nationale.

Pour mieux appuyer ces dernières lignes, je me permets de reprendre la phrase du défunt séparatiste Pierre Falardeau : « La liberté n’est pas une marque de yogourt ».

Et comment! Celle-ci, qui nous donne la possibilité d’agir selon notre propre volonté, ne se procure pas au Provigo, car elle n’a pas de prix.

Et ce serait une lapalissade de dire que la liberté haïtienne n’a pas été un « cadeau de Noël » des années 1960.

Quittons brièvement l’histoire, examinons les éléments qui constituent l’historicité de la langue créole, ou si vous préférez, des langues créoles.

En réalité, plusieurs définitions de ce terme ont été fugaces à travers le temps. Les spécialistes ne s’entendent pas sur une signification substantielle de la langue créole.

On peut supposer que ces spécialistes, qui sont généralement des petits-fils de colons, éprouvent un malaise à associer cette langue qui a pris naissance sur les plantations de leurs aïeux, aux chaînes de fer, au larbinisme et à l’agenouillement.

LE DICTIONNAIRE DE LA LANGUE HAÏTIENNE

Toutefois, il nous est plus facile et naturel de définir la langue haïtienne.

L’haïtien : langue apparue dans le monde le 1er janvier 1804, à la suite d’un long combat pour la liberté du peuple haïtien.

Une langue qui s’est affranchie du créole, autant que le français, l’espagnol et le portugais se sont libérés du latin.

L’haïtien, cette belle langue qui a coloré le Québec par des néologismes, est très populaire auprès des adolescents de la province : kòb, fanm, sezi et lakay, pour ne nommer que ceux-là, représentent les mots clés de l’« haïtiannisation » de la Belle Province.

Dany Laferière, ambassadeur potentiel de l’haïtien

Haïtiens et Haïtiennes, ce dictionnaire imaginaire peut devenir réalité si nous continuons la révolution de papa Dessalines.

En 1791, au Bois-Caïman, nos ancêtres, réduits à la « sous-hommité », ont entamé leur « Devoir de la violence » afin d’acquerrir leur autonomie absolue.

Or, aujourd’hui, notre révolution est plutôt mentale. Nul besoin de la « violence » de nos aïeux pour la réaliser. Elle ne nécessite qu’un « devoir du bon sens » pour ainsi substituer l’haïtien au créole.

Ce serait une belle affirmation de notre citoyenneté haïtienne et un pas de plus vers l’objectif ultime : la décolonisation mentale.


Je vous invite à prendre part à la conversation en laissant un commantaire un bas du site. Merci.

Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

14 Commentaires

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Bèl bagay Djems. Si toutt Ayisien panse tankouw sa ap bay Ayiti anpil fòs.

      Mèsi frèranm.

    • Frantz Merceron Répondre

      Koze saa rale ‘ti chèz ba’ li e li chita antravè nan fon kè mwen pou’m pa janm sispann reflechi sou kisa ki fè Ayiti rele Manman Libète: Ayiti kraze , detwi esklavaj kòm mwayen ekonomik nan ‘Nouvo Mond’ lan.
      Cette parole est entrée au tréfonds de mon coeur pour m’aider à réflechir sur le pourquoi Haïti garde le titre de Mère de la Liberté: Haïti a éradiqué l’esclavage comme moyen économique dans le ‘Nouveau Monde’.

      • Walter Innocent Jr Répondre

        Bèl pawòl frèm. Haïti est et restera la Mère de la liberté, n’en déplaise à certains. À bientôt, compatriote.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Anpil fiète, Jonas! Si dirijan ayisien te gen plis fiète ak l’anmou pou peyi yo, Ayiti tap pi avanse.

      Mèsi pou kòmantè a kanmarad. À bientôt…

  1. Je salue de toute mes forces cette initiative, je crois qu’il était temps pour que quelqu’un prenne cette belle décision. Et la réflexion arrive au bon moment, pour que nos académiciens profitent l’occasion de changer l’appellation: AKADEMI KREOL AYISYEN en AKADEMI AYISYEN tout simplement.
    Pour moi je n’ai jamais dit kreol ayisyen, men m’ di m’ap pale ayisyen. Car le Français parle Français, l’Anglais parle l’Anglais etc… en conséquent, HAÏTIEN PARLE L’HAITIEN.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Vous avez très bien compris, Joseph! À partir du 1er janvier 1804, notre langue a été l’haïtien. Comme vous le précisez, si le Français parle le français, alors pourquoi les Haïtiens ne peuvent pas dire qu’ils parlent l’haïtien?

      Merci pour votre visite, Joseph. J’espère vous revoir bientôt.

  2. J’ai lu l’article et son contenu.
    Je suis entièrement en désaccord.

    Ce n’est pas concret de dire parler l’haïtien.

    Est-ce que les Américains parlent l’amérique? Non, ils parlent l’anglais. Votre logique est intéressante , mais elle ne parvient pas à me convaincre.

    Je suis Québécois d’origine haïtienne.
    C’est la première fois que j’entends ce genre position sur la langue nationale d’Haïti.

    J’ai partagé votre article avec d’autres compatriotes. Malheureusement, ils ne sont pas d’avis avec votre position.

    Je respecte votre point de vue malgré mon désaccord. Toutefois, je ne crois pas ça changerait quelque chose à l’identité haïtienne.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Angelot, pourquoi ne serait-il pas concret de dire parler l’haïtien? N’y a-t-il pas 1804 raisons qui nous permettent cette « désinvolture »?

      Vous argumentez que les Américains ne parlent pas l’américian. Bien. Cependant, sachez que larévolution américaine a été menée par des Britaniques, donc des Anglais. Alors comprenez que, pour eux, garder l’appellation anglais comme langue est tout à fait naturel. De ce fait, nul besoin de vous rappeler que la Révolution haïtienne a été concrétisée par des Africains, des esclaves, des Haïtiens, si vous préférez.

      Aussi, pourquoi devrions-nous être sous la dictée des Américains? Ils ont leur façon de faire, et nous avons la nôtre.

      En soulignant que « c’est la première fois que vous entendez ce genre de position sur la langue nationale d’Haïti », vous reconnaissez Haïti comme une nation indépendante. Or, le peuple haïtien doit assumer son indépendance, c’est-à-dire confirmer sa citoyenneté haïtienne en disant que sa langue est l’HAÏTIEN.

      J’ai beaucoup aimé cet échange, Angelot. J’admire votre approche respectueuse, et j’espère échanger avec vous de nouveau, car c’est très enrichissant.

  3. J’ai beaucoup aimer cette analyse…. Oui, je parle Haitien… bien que je suis guyanais .. Ca a beaucoup de sense…… sa fai en pil sense… en creole guyanais  » sa ka fai roune lo sense  »
    Alex

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Ahhhhhh, vous êtes un vrai, un fier Gyuannais qui embrasse son africanité, mon frère. Bravo! Et merci pour les bons mots.

      Kenbe la, pa lage!

  4. D’une certaine façon j’abonde dans votre sens parce que le créole était à la base le blanc des Antilles, en tant que martiniquais on vous dira là bas le béké le blanc créole et cette société créole fut construite à la base pour lui et par lui. C’est vrai en Martinique et en Guadeloupe on a beaucoup critiqué la « créolité » une autre domestication culturelle une assimilation aux forces coloniales
    D’autres comme Edouard Glissant parle de créolisation en clair un phénomène complexe de reformulation, de renaissance, de résilience
    Césaire qui détestait le mots créole, regardait son africanité comme une composante essentiel de son être, de son âme, un retour aux ancêtres
    Tout homme veut vivre libre, dans sa tête, son corps et dans son esprit sans chaînes invisibles
    Nous remercions les haïtiens d’avoir été les premiers à se libérer du joug de l’esclavage, de la domination
    An lo respé pou péyi ta la an lo lanmou

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