Opinions

Le racisme systémique et les « Saint-Thomas » du Québec

Le premier ministre du Québec est comme Saint-Thomas : il ne croit pas ce qu’il ne voit pas, ou, du moins, il ne croit pas ce qu’il ne vit pas. Malgré les aveux du premier ministre Justin Trudeau et d’autres politiciens au sujet du racisme systémique, M. Legault continue de manifester son « incrédulité ».

Gens du Pays, le 24 juin, c’était votre tour de vous laisser parler d’amour, d’indépendance et d’autres bonnes choses de la vie, mais force est de constater qu’aujourd’hui, il y a urgence de parler de racisme systémique, car un bon nombre de Québécois ne jouissent pas de cet amour promu de si belle façon dans la chanson du poète Gilles Vigneault.

Le déni québécois face au racisme

Autrement dit, un bon nombre de Québécois qui n’ont pas la peau blanche veulent que vous sachiez que dans toutes les sphères d’activité de la vie, ils sont défavorisés par rapport aux Tremblay, aux Gagnon, aux Bouchard.

Comment des personnes blanches, qui ont toujours été privilégiées par la société, peuvent-elles oser contredire ou mettre en doute les paroles de gens qui souffrent de l’enracinement structurel des inégalités?

Le Premier ministre François Legault

En réalité, par le biais d’une commission d’enquête, des milliers de Noirs, d’Arabes et d’Autochtones comptent bien démontrer que dans la très belle société démocratique qui porte le nom du Québec, il existe bel et bien un système qui, à l’instar de l’affaire George Floyd, les étouffe depuis toujours.

Pour mieux aborder le sujet, disons les choses de manière claire et lucide, sans chercher midi à quatorze heures.

« Une société est raciste ou ne l’est pas », disait Frantz Fanon. « Il n’existe point de degrés de racisme, ajouta-t-il.

À trop vouloir évaluer son niveau de racisme afin de trouver pire que soi ailleurs, chers Gens du Pays, on s’enferme dans le déni. On fait comme certains « grands penseurs » du Journal de Montréal, qui croient que le racisme québécois n’a rien à voir avec celui des États-Unis, qu’il est plus doux, plus « acceptable ».

Et tout comme notre cher premier ministre François Legault, qui est animé par une simplification de la pensée, ces chroniqueurs séparatistes, qui s’entendent comme larrons en foire, jurent que le Québec n’a jamais connu le racisme systémique.

Obsédés par l’angélisme de leur « pays », ces contradicteurs préfèrent que leurs compatriotes afro-descendants adhèrent au dolorisme plutôt que de les voir vaincre l’iniquité raciale qui persiste dans l’ensemble du Québec.

Or, les questions qui se posent aujourd’hui – et auxquelles les incrédules devront répondre – sont les suivantes :

Comment le Québec, qui entretient des rapports napoléoniens avec les Premières Nations, qui catégorise et stigmatise ses enfants noirs en les considérant comme des enfants illégitimes, peut-il prétendre ne pas avoir érigé en système le racisme ?

Comment des personnes blanches, qui ont toujours été privilégiées par la société, peuvent-elles oser contredire ou mettre en doute les paroles de gens qui souffrent de l’enracinement structurel des inégalités?

Mettre le racisme systémique à nu

Voyez-vous, chers amis blancs, le racisme systémique est si présent dans la réalité des Afro-Québécois que plusieurs d’entre eux supputent les probabilités d’une création d’un État clandestin en encourageant les Noirs à soutenir les commerces tenus par les Noirs ( mouvements Black-Owned et Buy Black ).

Or, aujourd’hui, il est grand tremps que le racisme sytémique du Québec soit mis à nu afin que nous découvrions l’indécence et les turpitudes d’une racisation sauvage qui déshumanise les Québécois venus d’ailleurs.

Les choses doivent changer et c’est urgent. Nous devons nous débarrasser de ce miroir brisé qui déforme le visage de la Belle Province.

Pour revenir à M. Legault, son entêtement à ne pas reconnaître l’existence du racisme systémique au Québec me rappelle étrangement la résistance de Jean Charest avant que la Commission Charbonneau ne soit créée.

À la fin des années 2000, si les médias et la population n’avaient pas mis de la pression sur le gouvernement libéral de Jean Charest pour faire la lumière sur les rumeurs de corruption et de collusion au sein de la politique municipale, provinciale et dans le milieu des cabinets génie-conseil et de la construction, nous n’aurions pas été au courant de ce système corrompu.

La Commission Charbonneau, qui a pris son envol le 9 novembre 2011, nous a fait découvrir « Monsieur TPS » (taxe pour Surprenant) et ses appels d’offre truqués. Nous avons également pris connaissance avec grand intérêt des pots-de-vin, des cas d’intimidation et de la présence du crime organisé dans le monde de la construction.

La juge France Charbonneau lors de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dansl’industrie de la construction

Or, aujourd’hui, il est grand tremps que le racisme sytémique du Québec soit mis à nu afin que nous découvrions l’indécence et les turpitudes d’une racisation sauvage qui déshumanise les Québécois venus d’ailleurs.

Oui, la population doit tout savoir sur ce système qui existe depuis que Christophe Colomb, l’imposteur qui n’a rien découvert, a mis les pieds en Amérique.

Elle doit savoir pourquoi les personnalités publiques de la communauté noire ne sont jamais mises en nomination pour leur travail au Gala Artis, les poussant même à créer leur propre gala d’excellence (Gala Dynastie).

Elle doit être au courant du fait que la couleur de peau noire soit régulièrement un obstacle de taille à l’obtention d’un emploi ou d’un logement.

Le paradoxe québécois

Permettez-moi de vous donner un autre exemple de révisionnisme, d’incrédulité québécoise.

Sous la plume d’André Lamoureux et Michèle Sirois, respectivement politologue et anthropologue, on pouvait lire dans La Presse « Associer le Québec à cet héritage ségrégationniste est carrément malhonnête. Le mouvement “Black Lives Matter” de souche américaine n’a pas de racines québécoises ».

Bien sûr, nous adoptons le discours « ce qui se passe à Vegas, ou plutôt, aux USA reste aux USA » seulement quand cela nous convient.

Car, de toute évidence, le mouvement #MeToo – lutte contre le viol et les agressions sexuelles, qui est une importation américaine, a reçu, à juste titre, un bel accueil au Québec.

J’ai moi-même participé à cette mobilisation mondiale en écrivant des textes condamnant les prédateurs sexuels de ce monde. Certes, je ne pourrai jamais ressentir ce que les victimes de viol ressentent, toutefois je peux comprendre leur douleur en me projetant dans leur situation.

De ce fait, j’invite M. Legault et l’intelligentsia québécoise qui mécroient les Noirs qui se disent victimes du racisme systémique à revisiter leur passé de peuple opprimé.

J’invite les Québécois francophones, ces anciens « nègres blancs d’Amérique » – selon l’auteur Pierre Vallières – à retourner dans les années 30, 40 et 50, lorsque leurs grands-parents s’adressaient dans la langue de Molière aux vendeurs des magasins du centre-ville et qu’on leur répondait avec mépris « speak white ».

En fait, j’invite la société québécoise à faire un examen de conscience et s’interroger sérieusement sur les raisons pour lesquelles autant de Noirs sont victimes de profilage racial, sur le fait que le taux de chômage est plus élevé dans la communauté noire, sur le manque flagrant de représentativité des minorités visibles à la télé.

En conclusion, j’ai pu me rendre compte que la majorité de ces contradicteurs ne sont que des oublieux, des gens qui aiment les paradoxes, comme dirait Maurice Sixto.

Ils veulent se libérer du système canadien, mais tiennent à tout prix à ce que leurs compatriotes noirs soient enfermés dans un système insupportable.

Québec, we have a problem


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

6 Commentaires

  1. Bien sûr qu’il existe des degrés de racisme, tout comme il existe des degrés de ferveur religieuse. Et c’est ce degré de ferveur qui dicte les agissements des croyants. Il serait malhonnête de dire simplement : « on croit ou on ne croit pas ». Il est nécessaire de nuancer, sans quoi on ne fait que faciliter la tâche de nos détracteurs (chose qu’Yves Michaud a appris à ses dépends).
    Alors soulignons le fait que plusieurs des réformes réclamées par nos frères au sud ont été adoptées par le Québec (ex.: plusieurs années de formation pour les policiers, meilleure accessibilité à l’éducation post-secondaire pour notre communauté) mais insistons sur le fait que le racisme n’a pas été enrayé pour autant. N’ayons pas peur de dire que « nos » policiers performent mieux que la grande majorité des policiers américains mais que d’autres réformes sont nécessaires puisque le profilage racial est toujours présent.
    Le refus de nuancer mènera forcément à un discours de sourds et des argumentations sur la forme, jusqu’à ce que le mouvement s’essouffle…jusqu’à la prochaine bavure.
    Très bon texte en passant…

  2. Ah oui! C’est vrai. Une chance qu’il existe des degrés de racisme. Ici au Québec, nous sommes chanceux car on est peut-être raciste mais juste un petit peu. Non! Tu es raciste ou tu ne l’es pas comme la religion, tu as la foi ou tu ne l’as pas. Le racisme tue que ce soit violemment ou à petit feu. Arrêtez de jouer sur les mots. Peu importe la ferveur avec laquelle tu exprimes le racisme, tu es raciste. Si tu n’es pas raciste, tu ne t’exprimes pas en raciste. Un point c’est tout. Et pour aborder le problème du racisme, il faut admettre ses torts, prendre conscience qu’on est raciste.

  3. Tres bon texte mon cher Walter. Il est là depuis quelques centenaires ce racisme systémique. Par contre, pour moi c’est de la negrophobie qu’il faut parler et non pas de racisme en ce qui concerne le peuple noir. Car elle est exercée partout dans le monde même chez certaines communautés non blanches ( latino-americaines, indiennes, asiatiques)pour en nommer quelques-unes .

  4. Bravo Walter pour ton très bon texte. Hélas, il était passé sous mon radar avant cette nuit.

    Je suis d’accord avec la majorité de ce que tu dis, à quelques nuances près. La problématique abordée est tellement complexe qu’elle foisonne et « refoisonne » dans toutes les directions. Il est impossible d’en faire une analyse linéaire.

    Je vais, pour le moment, brièvement aborder deux points.

    Racisme systémique: cette notion est bien mal comprise par la population en général. On peut présumer que Legault et les plus « futés » chroniqueurs du JdeM (ce qui exclut le couple Martineau-Durocher) la comprennent mieux, mais ils évitent soigneusement de le montrer et s’alignent, par pure démagogie et/ou malhonnêteté intellectuelle (tels Bock-Coté et Facal), avec la pensée populaire dite de souche.

    Black Lives Matter: je peux me tromper, mais il me semble que les appuis et manifestations au Canada étaient en premier, mais non uniquement, un appui à la lutte des Afro-Américains. Ceux qui s’en sont offusqués n’ont apparemment rien compris.

    A plus.

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