Société

Les enfants restavèk, un esclavage « made in Haiti »


L’enfance est courte et précieuse. En Occident, durant cette étape de la vie, l’enfant acquiert des connaissances en allant à l’école, s’épanouit en pratiquant des activités sportives et se fait dorloter par ses parents à la maison. En revanche, en Haïti, pour les enfants qui sont donnés par leurs parents à des familles, cette enfance-là n’existe pas…

Leur enfance est perdue, volée ou détruite par la pratique du restavèk, un esclavage qui cible des enfants âgés de 5 à 16 ans. Privés de tout ce qui pourrait être considéré comme une enfance, ces garçons et filles subissent la destruction. C’est une cruauté humaine qui doit être dévoilée au grand jour.

Un rêve qui tourne mal

Chers lecteurs, en lisant ce texte, vous franchissez la première étape d’un processus qui consiste à libérer les restavèk – enfants esclaves. De plus, en le diffusant sur les réseaux sociaux, vous dites non à l’esclavage haïtien.

Cette jeune fille exploitée n’a pas plus de 7 ans

Qu’en est-il donc de cette nouvelle forme d’esclavage moderne?

Le système restavèk a toujours existé en Haïti. Je dirais même que celui-ci est parfaitement ancré dans les mœurs, s’inscrivant dans une tradition de classisme et d’élitisme liée à l’héritage colonial. Quel Haïtien n’a jamais entendu ou prononcé les vocables « mwen pa rete ak moun » et « ti mizè »?

Ces expressions à caractère péjoratif, faisant référence à la domesticité et la misère, sont bien la preuve de la normalisation de l’exploitation d’enfants dans la pensée haïtienne.

La sensation fallaccieuse de bien-être est dissipée par les sévices physiques de l’exploiteur. Dire que nous avons chassé nos bourreaux, pour devenir nos preopres bourreaux.

Qui sont ces enfants esclaves?

Ces enfants esclaves auraient pu être vous et moi, n’eût été notre désertion de notre terre natale.

Ainsi donc, cette réflexion nous oriente vers la misère d’Haïti, vers les familles, souvent monoparentales, qui n’ont d’autres alternatives que de « prêter » leur progéniture à des familles nanties afin de les épargner de la pauvreté extrême.

Des yeux qui parlent

Ce rêve d’un ailleurs enchanteur tourne au cauchemar dès le premier mois, voire la première semaine de cet (te) employé (e) non rémunéré (e) et privé (e) de la lumière de l’instruction.

Le paradoxe haïtien

La sensation fallacieuse de bien-être est dissipée par les sévices physiques de l’exploiteur. Dire que nous avons chassé nos bourreaux, pour devenir nos propres bourreaux.

En effet, chers compatriotes, les dures et amères vérités doivent sortir : Haïti est confrontée à un paradoxe auquel nous, filles et fils de la Nation, devons faire face.

Un paradoxe qui met en lumière notre schizophrénie sociale et culturelle : alors que nous nous disons libres et indépendants, quelque 500 mille de nos enfants sont enchaînés , exploités et objetisés.

De toute évidence, les qualificatifs me manquent pour décrire les conditions inhumaines et dégradantes dans lesquelles ces « esclaves oubliés » vivent. Toutefois, il ne me manquera jamais d’encre pour tremper ma plume dans un texte dénonçant la désubstantialisation d’enfants comme êtres humains.

Sans plus tarder, chers amis non haïtiens, je vous donne la signification du terme restavèk.

Restavèk : ce terme haïtien signifie « reste avec ». En général, au Québec ou en France, le verbe rester se conjugue harmonieusement : « tu restes avec nous pour le souper? », « je reste avec toi pour te soutenir ». N’est-ce pas tendre et agréable?

Or, l’homme de la maison, qui ne supporte pas l’injustice et l’inégalité, ne perçoit pas la plus grande forme d’injustice qui règne sous son propre toit. Il lit quotidiennement le livre des droits de l’homme, mais ne parvient pas à lire la souffrance dans les yeux de Ti Saintaniz.

Une restavèk et son maître insouciant

Cependant, en Haïti, il s’agit de tout autre chose. Le mésusage de ce verbe est souvent dégoûtant et répugnant. Âmes sensibles, s’abstenir!

« Tu restes avec moi pour être brutalisé(e), physiquement et psychologiquement ». « Tu restes avec moi pour assouvir mes désirs sexuels ». « Tu restes avec moi pour ne plus exister et disparaître dans le monde de la servitude, de la domesticité ».

Un silence qui en dit long

Voilà l’usage courant du verbe rester chez beaucoup de gens en Haïti. C’est un « esclavage organisé », qui est bien soutenu par l’Omerta. Cette loi du silence qui rend la population bèbè – muette – est d’ailleurs bien traduite par Maurice Sixto, dans son célèbre récit oral Ti Saintaniz.

Dans Ti Saintaniz, le conteur gonaïvien, qui s’inspire de « choses et gens entendues », nous raconte l’histoire d’une restavèk qui est exploitée, maltraitée et humiliée par sa maîtresse. Ti Saintaniz, l’enfant restavèk, se lève, comme la majorité des enfants esclaves, à 4h, 5h du matin, pour s’occuper de la maison, et amener la fille de son oppresseur, plus âgée qu’elle, à l’école.

Or, l’homme de la maison, qui ne supporte pas l’injustice et l’inégalité, ne perçoit pas la plus grande forme d’injustice qui règne sous son propre toit. Il lit quotidiennement le livre des droits de l’homme, mais ne parvient pas à lire la souffrance dans les yeux de Ti Saintaniz.

Schizophrénie intellectuelle, dites-vous?

Des enfants réduits aux travaux forcés, un esclavage « made in Haïti »

Pour ne pas sombrer dans l’hypocrisie, je passe aux aveux. N’étant pas forcément issu d’une famille nantie, j’ai pu voir des restavèk défiler dans la maison familiale quand j’étais petit. Comme quoi les bourgeois ne détiennent pas le monopole de cette pratique honteuse…

Mon innocence ne me permettait pas de reconnaître l’ampleur de ce mal, néanmoins il ne fait aucun doute qu’il y a eu un éveil de ma conscience quant au traitement différencié.

Aujourd’hui, quand je me regarde dans le miroir, je vois le reflet de ces enfants abusés, bafoués et laissés pour compte. Quand je joue avec mes neveux et nièces, mes pensées accompagnent ces restavèk, qui sont dépourvus d’affection parentale et qui ne retiennent pas l’attention de la population.

Il est toutefois phénoménal de constater que le phénomène restavèk ne fasse pas partie des revendications du peuple haïtien, lors des manifestations antigouvernementales.

Excellente illustration de la vie misérable d’une « restavèk »

Il est aussi étonnant de noter l’attitude je-m’en-foutiste des gens de la diaspora haïtienne en ce qui a trait à l’esclavage moderne qui perdure dans leur pays d’origine : ils dénoncent à voix haute le racisme de leur pays adoptif, mais passent sous silence la situation de centaines de milliers d’enfants soumis à des travaux forcés dans leur terre natale.

Et je fais partie de ce monde qui a oblitéré le passé et le présent de « l’esclavage made in Haïti ».

Avant de penser à l’argent du Petro Caribe, ne devrions-nous pas panser les plaies des « Ti Saintaniz » du pays?

La marchandisation de l’homme par l’homme est-elle plus acceptable lorsqu’elle est faite par des frères et sœurs?

J’espère, chers amis de lakay, que ces questions nous permettront de prendre conscience de nos comportements autodestructeurs, et que nous réserverons une toute petite place aux enfants exploités, lors de nos débats relatifs à Haïti.

Car, tant que nous ne réglerons pas le problème des restavèk, nous ne pourrons pas prétendre avoir brisé les chaînes de l’esclavage…


Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.


Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

7 Commentaires

  1. Chantal Philippe-Auguste Répondre

    Belle déclaration, il est évident que beaucoup ne savent pas a propos des restavèk en Haïti. Un phénomène dégradant et abject, malheureusement pas uniquement haïtien : j’ai vécue ou visitée plusieurs pays d’Afrique et assurément cette pratique vient de nos ancêtres. Mais elle exige également ailleurs: Chine, Philippines,.. Exécrable mais pas Made in Haïti

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Merci Chantal! L’esclavage des enfants existe partout dans le monde, mais le « restavèk », appellation strictement haïtienne, est bel et bien « made in Haïti ». Ce système est différent dans chaque pays…

      Merci pour votre visite, Chantal. À bientôt.

  2. Bonjour Walter. Tu m’apprends encore quelque chose sur Haiti. Tu mentionnes le nombre 500_000. C’est gigantesque, par rapport à la population totale de 11 millions.

    Ces enfants sont-ils rémunérés? J’imagine que les parents ou les enfants eux-mêmes peuvent arrêter à leur guise.

    Y a-t-il une loi protégeant minimalement ces enfants?

    C’est vraiment d’une tristesse absolue. En plus d’être un drame pour ces enfants et familles, cela nuit considérablement au progrès du pays, car une franche importante de sa population reste non instruite.

    Il devrait exister un système (fiable!!) de parrainage qui permettrait à des familles d’envoyer leurs enfants à l’école tout en recevant l’équivalent monétaire (salaire + frais de subsistance) de l’option restavèk. Je serais participant.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Salut Luc! Excuse-moi pour le délai, je n’avais pas aperçu ton commentaire. Mon cher Luc, non seulement les enfants restavèk ne sont pas rémunérés, maisl ils sont maltraités. ils sont chosifiés, objetisés par leurs « maîtres », comme on dit en Haïti.

      Et oui, il existe des lois qui essaient de bannir cette forme d’eslave, mais en vain…

      Il y a toutefois ce qu’on appelles les « bonnes », qui, elles peuvent être rémunérées, amis encore une fois, elles subissent ndes sévices de leurs patrons.

      J’ai quitté Haïti très jeune, mais j’ai bonne suvenance de cette malheureuse situation.

      Merci mon ami Luc. Et et es l’un des rares que je peux me permettre de tutoyer sur mon blogue, et je trouve cela cool.

  3. Bonjour Walter,
    Enfant en domesticité est un sujet qui me tient a cœur. J’aime bien la façon dont tu as décrit cette problématique.
    Ton texte est bien enrichissant.
    Je suis en train de monter un projet en Haïti pour les enfants qui se trouvent malheureusement dans cette situation. Je suis tombée sur ton texte et je trouve que c’est assez intéressant pour mieux comprendre ce cataclysme humain.
    Merci pour ce partage.

    • Walter Innocent Jr Répondre

      Chère Tamra, je te dis merci pour le compliment, et au nom de tous les restavèk, je te dis mille mercis pour ton engagement à cette cause si noble. Et j’espère que plus de gens chercheront à comprendre ce que tu appelles judicieusment « cataclysme humain ».

      Tamara, je te souhaite succès pour tes projets, et n’hésite pas à commenter de nouveau sur de différents sujets du blogue.

  4. celine lamarche Répondre

    Ouf! Je vous remercie d’avoir partagé ce lien avec moi.
    Quelle difficile mais nécessaire lecture. Merci aussi de l’honneteté et de la lucidité dont vous faites preuve dans ce billet, tout a votre honneur Walter.
    A quand plus de dénonciation, d’action pour cette cause? Faites une manif et j’y serai, avec une pancarte et peut-etre une marchette!
    Bien a vous
    Celine

Répondre A celine lamarche Annuler la réponse