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Tamara Thermitus : une femme noire d’exception qui mène une bataille contre la CDPDJ


Pour paraphraser The Notorious B. I. G., l’un des plus grands rappeurs de tous les temps, plus une personne noire connaît le succès, plus les problèmes arrivent, car la jalousie est omniprésente. Que ce soit dans le sport, dans le monde des affaires ou dans le milieu du travail, le succès d’une personne noire dérange, et c’est peut-être ce qu’a vécu Me Tamara Thermitus, qui a été la première présidente afrodescendante de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

Tamara Thermitus a fait son entrée à la CDPDJ le 20 février 2017, mais quelques mois plus tard, soit le 29 novembre 2018, sous la menace d’une destitution par l’Assemblée nationale, elle a démissionné de son poste.

Selon Me Thermitus, qui s’est confiée au média The Walrus il y a quelques mois, ses problèmes ont commencé dès que le gouvernement de Philippe Couillard l’a nommée à la tête de la CDPDJ, en 2016.

Le paradoxe de la Commission des droits de la personne

C’est en effectuant des recherches en ligne sur le racisme dans le milieu du travail que je suis tombé sur cet article superbement rédigé par Martin Patriquin. Et je me suis rendu compte que ce dossier, qui a sombré dans un oubli presque général, mérite qu’on lui porte une attention particulière.

Autrement dit, dans cet organisme – la CDPDJ – qui, en 2017, comptait environ 150 employés, Me Thermitus se serait retrouvée à la dangereuse intersection du racisme et du sexisme, ce qui a freiné son élan émancipateur.

Pourquoi s’en préoccuper ?

Pour la simple et bonne raison que trop de femmes, de personnes noires ou de gens d’un certain âge ont été victimes de sexisme, de racisme et d’âgisme.

Vous souvenez-vous de l’affaire LaFlamme-CTV, où la cheffe d’antenne Lisa LaFlamme a été secouée par un congédiement surprise après 35 années de carrière à la chaîne CTVNews ?

Certains pensent que Mme LaFlamme a été victime d’âgisme, tandis que d’autres empruntent la voie du sexisme afin d’élucider cette injustice.

Et si c’était les deux ?

Dans le cas qui nous occupe, d’après Tamara Thermitus, qui a participé à la négociation des termes de la Commission vérité et réconciliation du Canada, son genre et la couleur de sa peau ont été la cause de ses démêlés avec la CDPDJ.

Autrement dit, dans cet organisme – la CDPDJ – qui, en 2017, comptait environ 150 employés, Me Thermitus se serait retrouvée à la dangereuse intersection du racisme et du sexisme, ce qui a freiné son élan émancipateur.

Qui l’eût cru ? De la discrimination dans une institution qui ne tolère pas les discriminations. C’est un paradoxe qui défie notre raisonnement, aussi ténu soit-il.

En nommant Tamara Thermitus à la tête de la CDPDJ, Philippe Couillard ne pensait pas qu’il jetterait l’avocate d’origine haïtienne dans la gueule du loup.

Dans les premiers mois suivant son entrée en fonction, Tamara Thermitus a été l’objet de tentatives de « coup d’État » marquées par une campagne de salissage. Sous le couvert de l’anonymat, des employés ont déposé des plaintes accusant leur nouvelle patronne d’abus d’autorité, de harcèlement psychologique et de mauvaise gestion.

« On ne me voit pas comme quelqu’un qui peut avoir du pouvoir sur les autres. Des personnes noires dirigeant des personnes blanches, c’est une anomalie », a précisé Me Thermitus dans son entretien avec The Walrus.

Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, je trouve que cette histoire ressemble étrangement à celle où, le matin du 4 août 2005, l’ancien premier ministre Paul Martin s’est réveillé avec cette idée « folle » de nommer Michaëlle Jean, l’une des filles de Dessalines, gouverneure générale du Canada.

Quelques jours après la Journée internationale des femmes, osons le dire : une femme noire en position de pouvoir dérange beaucoup. Et si celle-ci se met à faire respecter les règles comme il se doit, la situation se complique.

Cela avait provoqué un séisme politique qui a durement frappé le Québec.

Qu’on les aime ou non, on ne peut pas reprocher aux gouvernements libéraux de ne pas instiguer et faire agir autrui, ce qui, selon l’écrivain et journaliste français Bertrand de Jouvenel, constitue l’acte de base de toute politique.

La nomination de Michaëlle Jean au poste de gouverneure générale a déplu à des gens à un point tel que l’écrivain Dany Laferrière a dû exprimer dans une lettre publiée à La Presse l’importance qu’attachait la communauté haïtienne à cette nomination.

Invraisemblable, dites-vous ?

Une femme de tous les combats

La première fois que j’ai rencontré Tamara Thermitus, c’était au printemps 2021, lors d’une manifestation contre les violences faites aux femmes. Rapidement après les salutations, nous nous sommes plongés dans le sujet qui préoccupait les Québécois depuis le début de l’année : le féminicide.

Elle en avait long à dire sur la masculinité toxique, l’égalité des sexes, la mysoginoire, le féminisme, l’égalité des genres et tous les autres éléments qui accompagnent la lutte pour les droits des femmes.

Je me suis senti particulièrement privilégié d’avoir pu bénéficier d’un cours sur le respect des droits humains des femmes par l’ex-présidente de la Commission des droits de la personne sans que celle-ci ait tenté de me faire la leçon.

À mon avis, l’homme qui vit cette expérience, quiconque soit-il, devient systématiquement un allié de la lutte féminine.

Tamara Thermitus

À l’automne dernier, lors d’un événement culturel organisé par la Fondation Dynastie, nous avons repris la question de l’inégalité là où nous l’avons laissée. Cette fois, nous avons fait un petit tour à notre pays d’origine – Haïti – afin d’aborder le problème des « restavek » – enfants esclaves -, avant de revenir au Québec pour toucher à un autre sujet tabou, le racisme.

Tamara Thermitus est une femme d’exception aux combats multiples; toutefois, avec le recul, j’ai constaté qu’elle a oublié de problématiser son propre combat, sa longue bataille contre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Était-ce réellement un oubli, ou a-t-elle simplement priorisé les enjeux auxquels plusieurs d’entre nous font face ?

Vraiment, la question se pose. Après tant d’heures passées à analyser toutes les formes d’injustices et d’inégalités de notre société, j’ai constaté que l’injustice qu’elle a vécue au sein de la CDPDJ n’a pas été placée sur le banc des accusés de notre dialectique.

Je m’en veux certes de ne pas avoir soulevé cette question, mais le comportement altruiste de Me Thermitus m’a permis de comprendre qu’elle était la personne idéale pour diriger la CDPDJ.

Cela expliquerait également en partie pourquoi certaines personnes de cet organisme ont organisé ce putsch contre Tamara Thermitus.

Quelques jours après la Journée internationale des femmes, osons le dire : une femme noire en position de pouvoir dérange beaucoup. Et si celle-ci se met à faire respecter les règles comme il se doit, la situation se complique.

C’est bien dommage parce que la démission forcée de Me Thermitus à titre de présidente de la CDPDJ peut avoir un impact sur les communautés noires et autochtones ainsi que sur les personnes handicapées, car elle était prête à se battre avec acharnement pour ces groupes minoritaires, comme elle l’a toujours fait au cours de sa longue carrière de juriste.

Or, aujourd’hui Tamara Thermitus se retrouve seule face à la Commission des droits de la personne, menant un long combat juridique afin de rétablir son nom et sa réputation.

Qui doit-on croire entre les deux ?

Comme vous le savez, il y a toujours deux versions d’une même histoire.

Mais l’histoire nous a montré en de nombreuses occasions qu’une personne noire qui s’élève au sommet de sa profession fait monter d’un cran le racisme.


Je vous invite à participer à la conversation en laissant un commentaire un peu plus bas sur le site. Merci.


Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

2 Commentaires

  1. Encore une fois, quelle belle analyse. Vous avez parfaitement raison. D’ailleurs, dans son chapitre sentiment anti-noir, la sociologue Robin DiAngelo rappelle à quel point les Blancs DÉTESTENT la réussite noire et les Noirs debout. De plus, le livre White Rage la difficulté des Blancs à voir les Noirs réussir. Merci beaucoup pour cette superbe belle analyse !!!

  2. Bel article, c est dommage en temps que femme noires de toujours a devoir nous justifiés, toujours etre une cible et malgré tout les diplomes et nos competences ils vont toujours chercher la bibite pour nous ecrasés

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