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Haïti et ses bandits, un film difficile à regarder


Ce n’est pas comme dans Apocalypse Now de Francis Ford Copolla, où le chaos régnait. Ça ne ressemble pas non plus au film L’Évadé d’Alcatraz, qui raconte l’évasion de trois détenus du pénitencier fédéral de haute sécurité d’Alcatraz, située dans la baie de San Francisco. Le drame haïtien, mettant en vedette les bandits de Port-au-Prince, est unique en son genre. C’est un drame dans lequel le réel et l’imaginaire se côtoient, suscitant la stupeur et l’incrédulité.

Haïti et ses bandits, un film sanglant à déconseiller aux moins de 18 ans ainsi qu’à ceux et celles qui ont tendance à adopter une vision simpliste de l’histoire haïtienne.

Permettez-moi de vous présenter un bref résumé de ce drame.

Née miraculeusement en pleine période esclavagiste, Haïti connaîtra des bouleversements politiques, sociaux et économiques majeurs avant de connaître trois décennies de totalitarisme et de duvaliérisme, marquées par la répression militaire et macoutique (des dizaines de milliers de gens ont été assassinés, sans compter les viols et pillages commis par les « tontons macoutes »).

Après la chute de la dynastie des Duvalier, en 1986, la soif de pouvoir des officiers de l’armée d’Haïti conduira le pays vers une politique en montagnes russes : des présidents successifs seront renversés par des juntes militaires, plongeant la population dans des périodes de turbulences sociales et politiques, et ce, jusqu’à nos jours.

Or, le dimanche 3 mars, les gangs rivaux de Port-au-Prince ont usé de leur esprit malveillant de banditisme et d’anarchisme pour prendre d’assaut nuitamment les deux grandes prisons de la capitale et incendier des commisariats de police.

Cette opération criminelle spectaculaire a permis à plus de 4000 détenus de prendre la fuite, ce qui a poussé le « gouvernement » à instaurer l’état d’urgence dans le département de l’Ouest du pays.

On aura tout vu !

Même dans ses moments de créativité la plus perverse, Francis Ford Copolla, qui a également fécondé le chef-d’œuvre Le Parrain, ne pourrait écrire un tel scénario.

Je mentirais si je disais que les images télévisées de l’insécurité qui sévit dans ma ville natale ne m’affectent pas. Mais ce qui m’attriste le plus, c’est de constater que la violence des bandits est de plus en plus normalisée, et que leurs chefs sont transformés en héros par ceux et celles qui s’opposent vivement au gouvernement d’Ariel Heny.

Oui, oui, Ariel, le premier ministre qui risque de perdre sa place après être allé à la chasse au Kenya afin de dénicher les meilleurs policiers pour remédier aux problèmes des gangs de rue de Port-au-Prince.

Nous reviendrons à Ariel Henry et à son problème de dépendance du pouvoir dans un autre texte consacré au banditisme politique sous peu. Pour le moment, parlons un peu de Izo, de Jimmy « Barbecue » Chérizier et de tous les autres cambrioleurs sans foi ni loi, qui sont perçus comme des révolutionnaires par certaines personnes qui chérissent le fantasme d’être témoins de la résurrection de Jean-Jacques Dessalines.

D’ailleurs, dans les discours adressés à ses supporteurs, Chérizier invoque constamment l’aide de Dessalines, le père de la nation haïtienne. Chaque année, pour souligner l’anniversaire de décès de Papa Dessalines, il va se recueillir sur sa tombe, à Pont-Rouge, accompagné de ses gardes du corps, exhibant leurs M16 aux caméramans.

Le charisme de Barbecue semble porter fruit, car en début de semaine, lors d’une discussion sur la situation haïtienne dans un salon de barbier de l’est de Montréal, des compatriotes, qui, visiblement, vivent leur premier hiver au Canada, n’avaient que de bonnes choses à dire sur le chef de la bande criminelle G9.

« Parmi les bandits, Barbecue est celui qui pourrait être élu à la présidence du pays, car il est mieux formé que les autres », a martelé Fanfan, avec son accent chantant du Cap-Haïtien.

Quand je l’ai interrogé à propos de l’implication présumée de Barbecue au massacre de Bel-Air, au cours duquel une quinzaine de personnes auraient perdu la vie, Fanfan s’est égaré dans un long monologue bondé de sophismes afin de protéger l’image de son héros.

Quant à Izo, un autre Capois, Samuel, qui était assis pas loin de moi, s’est empressé de couvrir d’éloges le chef de gang de Village de Dieu : « Izo est le seul à posséder un drone. Ça coûte des dizaines de milliers de dollars et c’est grâce à lui que l’évasion des prisonniers s’est concrétisée ».

« Et les nombreux meurtres et pillages qui ont été commandités par Izo ? » lui ai-je demandé.

« C’est un Robin des Bois. Il nourrit son quartier », a-t-il rétorqué, en tenant dans ses mains un plat de riz djondjon qu’il venait d’acheter dans un casse-croûte situé juste en face du salon de barbier.

Le lendemain, je me suis rendu dans un restaurant haïtien pour prendre le pouls de l’actualité et de la politique haïtienne, et j’entends le même son de cloche : les bandits mènent une révolution en Haïti, et le sang doit couler pour que la classe bourgeoise et la classe politique comprennent.

Comprendre quoi, en fait ? Que de pauvres innocents doivent être pris au milieu des tirs de balles des M16 ? Que Port-au-Prince devienne une ville fantôme ?

Aux dernières nouvelles, Guy Philippe, ancien militaire et sénateur, qui a passé six ans dans un pénitencier américain, a séduit une bonne partie de la population haïtienne. Et pour paraphraser Bernard Derome, si la tendance se maintient, Barbecue et Philippe formeront le prochain gouvernement haïtien.

Une fois de plus se dévoile dans toute sa splendeur la démagogie populiste, que nous applaudissons continuellement. En fait, depuis 1986, nous répétons les mêmes erreurs sans parvenir à un résultat différent.

Enfin, chers compatriotes, le problème est beaucoup plus grave que nous l’imaginons.

Et il est temps de reconnaître que nous faisons tous partie du problème, et que nous avons le pouvoir de faire partie de la solution.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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