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Le club Safari, ce sous-sol qui a bercé les dimanches des jeunes Haïtiens


Un samedi soir, à l’été 1987, des amis et moi avons décidé de fuir la routine micheloise pour nous retrouver dans une fête qui se déroulait dans le sous-sol d’une maison, à Longueuil. Il y avait du beau monde, et l’organisateur de la soirée, Stéphane, un jeune de Stanislas, aux cheveux bouclés, nous a reçus amicalement. Toutefois, le fait marquant de cette histoire réside dans le fait que ce jeune organisateur d’événement serait un jour l’un des acteurs qui ont permis à un sous-sol du centre-ville d’être la destination privilégiée des Haïtiens les dimanches soir.

Le club Safari. Quelle ambiance ! Quelle époque !

Afin de vous mettre en contexte les précieux moments de cette époque, permettez-moi de vous décrire l’un de mes plus beaux dimanches au Safari.

Je sors de chez moi vers 1 h. Je descends à pied la rue Stanley, et au bout de quatre minutes, me voilà devant la porte du mythique Safari. Avant d’accéder au sous-sol, je cause un peu avec Peter et Ademar, deux colosses qui assurent la garde de la forteresse.

En bas, au deuxième contrôle, Sam, sous le regard caporaliste de Sydney « Monsieur Muscles », me demande si je suis seul tout en libérant le passage.

Je rentre dans le club et plonge dans les succès musicaux de l’heure : « This Is How We Do It», de Montell Jordan, « Fu-Gee-la », des Fugees et « Prezidan », du… président désinvolte.

À ma gauche, de jeunes gens et des caïds, attachés à leurs bouteilles, étaient accoudés au bar. À ma droite, trois jolies demoiselles tentaient d’échapper à un type qui draguait toutes les filles qui se trouvaient autour de lui.

Je me retourne et fais un signe de la main à une connaissance d’allégeance bleue, et un peu plus loin, un jeune d’allégeance rouge observe la foule.

Devant moi, un homme, ivre et festif, semblait faire l’amour à sa boisson exotique et répéter les célèbres paroles de Notorious B.I.G. : « You got a gun up in waist, please don’t shoot up the place, cause I see some ladies tonight that should be having my baby… »

En marchant vers la cabine du DJ pour aller saluer mon ami Ron « Chill Of R » Selmour, qui était au micro, j’entends Ace, le capitaine de la soirée, jouer « Kèm pa sote », de Boukman Eksperyans. La foule est survoltée, et je perds mon chemin.

Bienvenue dans le monde du Safari !

Un monde rempli de mélodies, de beauté et de joie, mais aussi d’intrigues et d’histoires qui ne seront pas dévoilées dans cet article.

Dans le sous-sol de l’établissement situé sur la rue Stanley, coin de Maisonneuve, plusieurs y ont trouvé l’amour, et d’autres y ont fait leur deuxième maison. Mais pour la plupart, le Safari constituait une étape vers le passage au monde des adultes.

Gens de la Communauté, à la fin des années 1990, que vous ayez été aux études, sur le marché du travail ou un étranger qui visitait des proches à Montréal, ou encore un gangster qui voulait dépraver une fille de bonne famille, vous avez fait un tour au Safari.

Le but de cet article n’est pas tant de vous faire ressentir de la nostalgie ou de répandre un discours c’était-mieux-avantiste en remontant dans le temps que de célébrer ceux et celles qui nous ont fait vivre des moments inoubliables.

Je pense en premier lieu à la regrettée Nadège St-Philippe, qui a consacré une bonne partie de sa vie à rafraîchir nos dimanches avec ses merveilleuses boissons avant de faire le saut sur les ondes de TVA afin d’ensoleiller nos journées.

Au bar, Christina et elle connaissaient bien leur clientèle, qu’elles considéraient comme leur seconde famille. Paix à l’âme de la défunte.

Indubitablement, le Safari, c’était aussi Stéphane Bellamy, promoteur de soirées, qui a entretenu une belle relation de mutualisme avec le club : il a beaucoup fait pour le Safari, et celui-ci a largement contribué à l’épanouissement de ses activités événementielles. Mais ne franchissons pas les étapes, c’est-à-dire commençons par le commencement en racontant brièvement l’histoire de la création du Safari.

La première fois que j’ai mis les pieds dans l’établissement, c’était en 1989, lors d’une soirée organisée par Fitz & Fabian. À cette époque, il portait le nom de Rockefellers, un bar qui était en déclin.

Quelques années plus tard, au milieu des années 1990, deux jeunes Haïtiens, Donald Vilfort et Weyller Désir, se sont joints à Alain Yapo, un étudiant affairiste d’origine ivoirienne, pour ouvrir le Safari, une boîte de nuit qui rapprocherait les Haïtiens de leurs cousins de l’Afrique.

C’est donc dans un souci d’une grande union au sein de la communauté noire et de diversité musicale que Donald Vilfort et Weyller Désir ont fait appel à leur ami Stéphane Bellamy pour faire la promotion du Safari, qui était principalement fréquenté par des étudiants provenant de divers pays de l’Afrique de l’Ouest.

Les jeudis soir, il y avait la soirée « Formula One », où la bière se vendait au prix de 1,00 $. Ce coup de marketing a uniquement été possible grâce aux largesses stratégiques de la brasserie Molson, ce qui a permis au Safari de rivaliser avec les très populaires jeudis du club Van Gogh, qui était situé sur Drummond.

Les vendredis et les samedis, on remontait à la source de nos ancêtres en dansant sur la musique des artistes congolais, ivoiriens, sénégalais, etc. C’est d’ailleurs lors d’une de ces superbes soirées que j’ai entendu pour la première fois le grand succès « Premier Gaou » (du Magic System), qui est devenu l’une de mes chansons préférées.

Les dimanches, eh bien, chers compatriotes, comme le dirait mon ami Charlie Brown, c’était le « Gaye Time ».

Dit autrement, tous les dimanches matin, de jeunes Haïtiens et Haïtiennes allaient à l’église pour écouter la Parole de Dieu, et le soir, ils s’éclataient au son d’Alix Dugazon « Dj Ace », Mark Blue « True Blue », Chris Phipps « Dj Technical » et tant d’autres magiciens de la table tournante de la métropole.

Et n’oublions pas Dice B, Chill et Smooth, qui ont fait un travail remarquable au micro.

Bref, il existait de bien bonnes soirées dominicales, comme celles du Klimax (Fitz & Fabian), du Big Band (Romero) et du Groove dans la vie nocturne de Montréal.

Toutefois, les dimanches soir du Safari ont été phénoménaux et ont permis aux Haïtiens de planter leur drapeau sur le sol du centre-ville.

Et c’est pour cela que nous devons être reconnaissants envers les acteurs qui ont participé à l’aventure de cette boîte de nuit.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

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