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Dominique Ollivier : la chasse aux sorcières contre les femmes noires se poursuit


Démission de Dominique Ollivier. Je ne sais trop comment aborder ce sujet. D’un côté, je déplore le manque de jugement de Mme Olivier lorsqu’elle dirigeait l’OCPM, mais de l’autre, je joins ma voix à celle de ceux qui s’inquiètent du fait que la femme noire devient une cible de choix pour les médisants lorsqu’elle occupe un poste de haut niveau dans la société québécoise.

L’élément le plus frappant de cette histoire, c’est que Dominique Ollivier, qui était la numéro 2 de l’administration Plante, est la seule à avoir péri dans le naufrage du Titanic montréalais.

Parmi les autres points importants de cette crise municipale, citons les messages racistes et misogynes que Mme Ollivier a reçus au cours de la semaine tempétueuse.

En effet, lors de son point de presse annoçant son départ, la politicienne d’origine haïtienne a déclaré avoir reçu plus de 116 messages dans lesquels certaines personnes se référaient à la couleur de sa peau pour l’inviter à retourner dans son pays ou à passer le reste de sa vie en prison.

Ce scandale représente un dur retour à la réalité pour l’ancienne présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, qui devrait in fine faire le constat de la ténuité de la marge de manœuvre des personnes noires en Amérique du Nord.

Il était une fois une gouverneure générale noire

Pour la majorité des membres de la communauté noire, il est presque impossible d’analyser l’affaire Dominique Ollivier sans penser à la polémique qu’a suscitée la nomination de Michaëlle Jean au poste de gouverneure générale et commandante en chef du Canada, en 2005.

Cet évènement est resté gravé dans la mémoire de la communauté haïtienne. Certes, elle se souvient des beaux moments entourant la cérémonie d’assermentation de Michaëlle Jean, mais elle n’est pas près d’oublier le séisme que cette nomination a provoqué au Québec.

Des séparatistes, des jaloux et des personnes racistes se sont mobilisés pour que Mme Jean ne devienne pas la 27e gouverneure générale à un point tel que l’écrivain Dany Laferrière a dû exprimer dans une lettre publiée à La Presse l’importance qu’attachait la communauté haïtienne à cette nomination.

Et ça ne s’arrête pas là.

Plus tard, lorsqu’elle est devenue secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean a été la cible de critiques pour les coûts jugés exorbitants des travaux de son appartement de fonction à Paris. Certains médias québécois ont même déclaré que « les contribuables canadiens épongeront des dépenses de l’appartement de Mme Jean. »

Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada

Or, c’était faux.

Michaëlle Jean a accepté de s’installer dans un appartement qui était considéré comme inhabitable par le gouvernement canadien lorsque Clément Duhaime, l’Administrateur de l’OIF de l’époque, l’avait assurée que des travaux de rénovation étaient prévus pour remédier aux problèmes de plomberie, d’électricité, d’isolation et de salubrité du logement.

Malgré tout, les médias ont crucifié l’ex-secrétaire générale de l’OIF sur la place publique, portant, hélas, atteinte à sa réputation.

L’affaire Mélissa François

Mélissa François, une journaliste qui a été séduite et abandonnée par une chaîne de télévision québécoise.

Voilà une autre histoire qui a provoqué le mécontentement de la communauté haïtienne. Une histoire qui laisse des questions sans réponse : que s’est-il réellement passé lorsque la lectrice de nouvelles Mélissa François a été retirée des ondes après avoir commis un lapsus en disant Kim Jong deux plutôt que Kim Jong-il, en 2012 ?

La décision de cette chaîne de télé a-t-elle vraiment été motivée par le lapsus ?

La journaliste Mélissa françois

Et si Mélissa François, qui est d’origine haïtienne, s’appelait plutôt Sylvie Tremblay, avec les yeux bleus et la couleur de peau de Taylor Swift? Aurait-elle subi un traitement aussi radical ?

Et pourquoi a-t-on suspendu le syndicat des employés de la chaîne de télé lorsqu’il s’est porté publiquement à la défense de Mme François ?

Quoi qu’il en soit, l’affaire du « lapsusgate », si on peut le désigner ainsi, constitue un autre cas où la femme noire a connu un traitement différencié, et les nombreuses années qui ont suivi ce scandale ne suffisent pas pour effacer cette injustice de la mémoire de la communauté haïtienne.

Tamara Thermitus et son long combat contre la CDPDJ

Tamara Thermitus, une brillante avocate dévouée au service de la société.

Le 20 février 2017, Tamara Thermitus est devenue la première présidente afrodescendante de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), faisant la fierté de sa communauté. Or, quelques mois plus tard, soit le 29 novembre 2018, sous la menace d’une destitution de l’Assemblée nationale, elle a dû démissionner de son poste.

Selon Me Thermitus, qui s’est confiée au média The Walrus l’année dernière, ses problèmes ont commencé dès que le gouvernement de Philippe Couillard l’a nommée à la tête de la CDPDJ, en 2016.

Dans les premiers mois suivant son entrée en fonction, elle a été l’objet de tentatives de « coup d’État » marquées par une campagne de dénigrement. Sous le couvert de l’anonymat, des employés ont déposé des plaintes accusant leur nouvelle patronne d’abus d’autorité, de harcèlement psychologique et de mauvaise gestion.

Tamara Thermitus, l’ancienne présidente du CDPDJ

« On ne me voit pas comme quelqu’un qui peut avoir du pouvoir sur les autres. Des personnes noires dirigeant des personnes blanches, c’est une anomalie », a précisé Me Thermitus dans son entretien avec The Walrus.

En effet, une femme noire en position de pouvoir dérange beaucoup. Et si celle-ci se met à faire respecter les règles comme il se doit, la situation se complique.

Dominique Anglade et les élus libéraux

Dominique Anglade à la tête du PLQ.

Dominique Anglade, ingénieure de formation, a pris les rênes du Parti libéral du Québec en 2020, avec la ferme conviction de mener celui-ci à bon port. Toutefois, des comportements douteux et malheureux de son parti nous laissaient croire que la politicienne d’origine haïtienne s’était plutôt retrouvée à la dangereuse intersection du racisme et du sexisme, ce qui a ralenti ses élans.

Qu’il s’agisse de candidats aux dernières élections qui l’ont défiée en ne respectant pas les lignes directrices du parti ou du député, Yvon Vallières, qui a appuyé la candidature d’un caquiste lors de ces mêmes élections, plusieurs membres du PLQ ont manifesté de manière décomplexée leur refus d’être dirigés par une femme noire.

Enfin, vous connaissez la suite : ce climat toxique a poussé Dominique Anglade à démissionner de son poste de cheffe du Parti libéral du Québec.

Or, aujourd’hui, une autre fille de Dessalines, soit Dominique Olivier, a été étouffée par la pression médiatique.

Il ne fait aucun doute que c’est une journée sombre pour les femmes noires qui nourrissent de grandes ambitions en faveur du service à la société québécoise.

Cependant, pour paraphraser Toussaint Louverture, en renversant Dominique Olivier, on n’a abattu dans la communauté noire que le tronc de l’arbre de l’ambition et de l’excellence, mais il repoussera, car ses racines sont profondes et nombreuses.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

3 Commentaires

  1. Bonjour Walter.

    Mme Olivier a fait preuve d’une grande dignité en démissionnant de son poste. Cette histoire n’a pas débuté avec Mme Olivier, mais plutot avec les actuels dirigeants de l’OCPM. Ce n’est que lorsque Mme Olivier a été mise en cause, que les médias Québécor ont allumé les moteurs au maximum, tout heureux qu’ils étaient de pouvoir mettre la photo d’une personne noire au dessus de leurs articles.

    Les dirigeants actuels, blancs et francophones, s’accrochent à leur poste et Québécor n’en fait pas grand cas.

    Ce que Mme Olivier a fait, un grand nombre de fonctionnaires à travers la province l’ont déjà fait. Y compris la mairesse Plante qui vient d’annoncer qu’elle remboursera un repas bien arrosé à Vienne. Où sont les appels aux démissions?

    Je connais mal les autres exemples que tu mentionnes. sauf celui de Mme Jean. Oui, toute la droite Québécor et presque tous les souverainistes ont alors atteint des sommets de dégueulasserie et de malhonnêteté.

    • Walter Innocent Jr. Répondre

      Ah, mon cher Luc. Qu’est-ce que le Québec ferait sans toi, sans tes points de vue assez pertinents. Je te connais assez pour savoir que tu ne blaires pas Québécor et que tu ne tolères pas l’injustice. À ma grande surprise, certaines personnes, dont du milieu politique municipal, dont Robert Perreault, ancien vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, se sont protées à la défense de Dominique Olivier. La lettre de M. Perreault, intitulée « Mon amie Dominique » est de toute beauté.

      Cela dit, je condamne le manque de jugement de Mme Olivier, mais, comme tu le dis, c’est monnaie courante en politique ou monde corporatif. Cela ne devrait pas être une excuse, mais on peut flairer l’acharnement de certains médias. Et c’est ce que tu as décrit de manière éloquente, cher ami.

      Merci pour ce commentaire, Luc ! À bientôt.

  2. Merci pour les bons mots, mais mon influence est infinitésimale. Tu as raison, je ne peux blairer les médias Québécor. Leur niveau de malhonnêteté fait d’eux l’équivalent à l’échelle québécoise de FOX News.

    Je viens de lire la lettre de M. Perreault. C’est très bien écrit et touchant. J’allais justement écrire sur un aspect qu’il a abordé. Les budgets annuels de la province et des municipalités du Québec doivent approcher 140 milliards. On peut facilement avancer que de nombreux milliards pourraient être économisés chaque année en éliminant des postes et des dépenses inutiles. Cela les médias Québécor n’en parlent presque jamais.

    De temps à autre, ils sortent une histoire de dépenses inappropriées, tel un repas pour deux à Paris à 347 $. Si en extra des gens sont obligés de démissionner, leur audience est rassasiée, alors que cela représente un grain d’une chaudière pleine de sable.

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