Société

Nuits d’Afrique : non, M. Kotto, Mélissa Lavergne n’est pas discriminée, et voici pourquoi


Au cours des dernières années, en fermant les yeux sur l’affaire Camara et de nombreux autres cas d’injustice perpétrés au détriment de ses frères et sœurs, Maka Kotto, ancien ministre de la Culture et des Communications, a raté des occasions en or pour nous donner des leçons sur le respect des droits de la personne et sur l’africanité.

De plus, il est malhonnête qu’un homme aussi éduqué que M. Kotto analyse la controverse entourant la nomination de la percussionniste Mélissa Lavergne, une femme blanche, comme porte-parole des Nuits d’Afrique sans aborder la question d’appropriation culturelle et de spoliation culturelle.

Le spectre de l’appropriation culturelle

Pour ceux qui ne le savaient pas, vendredi, le 27 mai, la percussionniste québécoise a dû se retirer du rôle de porte-parole du Festival Nuits d’Afrique à la suite de nombreuses critiques suscitées par sa nomination.

Pourtant, quiconque détient un minimum de lucidité intellectuelle saura qu’un groupe qui a subi la colonisation et l’exploitation aura toujours le réflexe de protéger ses biens culturels.

« À la lumière des réactions que ma nomination aura suscitées dans les dernières heures, il m’apparaît important de réajuster le tir et de modifier la nature de notre collaboration afin de ne pas accentuer la douleur et l’incompréhension d’une communauté que nous souhaitons plutôt honorer », a déclaré la co-animatrice de l’émission Belle et Bum dans un communiqué envoyé à Radio-Canada.

Or, Maka Kotto, qui est d’origine camerounaise, voit les choses d’une manière entièrement différente.

Selon l’ancien ministre de la Culture et des Communications, qui a écrit un billet sur ce scandale, Mélissa Lavergne a été victime de discrimination.

Vraiment ?

Ce qui est déplorable avec l’affirmation de M. Kotto, c’est le fait qu’il ait détourné les contextes historiques et sociaux qui ont influé sur le mécontentement de la communauté noire en ce qui concerne la nomination de Mme Lavergne comme déléguée de la 36e édition du Festival Nuits d’Afrique.

Pourtant, quiconque détient un minimum de lucidité intellectuelle saura qu’un groupe qui a subi la colonisation et l’exploitation aura toujours le réflexe de protéger ses biens culturels.

Par exemple, en 1968, les francophones de Saint-Léonard, qui s’inquiétaient de la prolifération de l’anglais dans leur quartier, ont convaincu la commission scolaire de Saint-Léonard de reconnaître le français comme seule langue d’enseignement.

Au printemps 1969, des milliers d’étudiants francophones prennent la rue pour manifester en faveur de la francisation de l’Université McGill.

Donc, c’est à partir de cette crise linguistique, fondée sur la menace identitaire, qu’est née la première loi linguistique (la loi 63). Et malgré l’adoption de la loi 101 en 1977, aujourd’hui, on crée la loi 96 pour mieux protéger la langue de Molière, qui est aussi celle de René Lévesque et des tous les Québécois dits « de souche ».

Cela dit, dans le cas qui nous intéresse, l’histoire nous apprend que le rock ‘n’ roll, une musique noire, n’est devenu populaire que lorsqu’il a été blanchi et volé. Durant les années 50 et 60, de nombreux artistes afro-américains ont produit des succès musicaux pour des artistes blancs tels que Elvis Presley, Janis Joplin et les Beatles, sans que leurs contributions soient reconnues à leur juste valeur.

Prenons le cas de la coiffure natte, que les Haïtiens appellent ti-kouri.

Quand les membres des communautés noires arborent cette coiffure, on leur demande de rester dans leur « ghetto » ; mais lorsqu’il s’agit de Kim Kardashian, Kylie Jenner, Paris Hilton, Gwen Stefani, Justin Timberlake, David Beckam et tant d’autres personnalités blanches, leur coiffure est célébrée sur les couvertures des magazines de mode.

Ouf ! Faut-il rappeler que Maka Kotto est un homme noir et qu’il n’a pas osé dénoncer le manque de diversité culturelle de la vidéo promotionnelle du 375e anniversaire de Montréal ?

Au-delà de la musique

Pour revenir à la talentueuse percussionniste québécoise, on dit souvent que la musique n’a pas de frontières, toutefois, force est de reconnaître que des frontières de plusieurs sphères de la société sont fermées aux personnes noires, ce qui explique en partie ce soulèvement populaire en faveur de l’africanisation des Nuits d’Afrique, qui a pris naissance sur les réseaux sociaux.

Pour être plus clair, j’estime que si notre société était dépourvue d’inégalités raciales, notamment à l’école, au travail et à la télévision, la nomination de Mélissa Lavergne serait peut-être passée inaperçue aux yeux des Afrodescendants.

En d’autres termes, le continent africain qui, comme l’indique M. Kotto dans son texte, est tatoué sur le cœur de Mme Lavergne, aurait pu couvrir la blancheur de sa peau.

Comme l’a si bien décrit l’artiste Ricardo Lamour, dans une interview accordée à La Presse, « les communautés afrodescendantes sont sous-représentées, même quand il s’agit de leur propre patrimoine ».

Lamour a également parlé de ce qu’il appelle la « déconnexion » des dirigeants du Festival Nuits d’Afrique : malgré les regrettables événements, du meurtre de George Floyd au spectacle SLĀV, en passant par le défilé de la Saint-Jean jusqu’au 375e de Montréal, ils n’ont pas pu suivre le courant social tendant à renforcer la communauté noire.

C’est un bon point.

Les dirigeants de Nuits d’Afrique devront repenser fondamentalement la philosophie et les principes de leur organisation.

Personnellement, je ne crois pas que Mélissa Lavergne ait été de mauvaise foi en acceptant d’être la figure du festival. Toutefois, elle n’avait pas sa place là, tout comme une personnalité noire ne serait pas bien placée pour porter le drapeau lors d’un défilé des communautés autochtones.

On ne joue pas avec le sentiment de gens qui ont été opprimés et qui continuent de subir les pires conséquences du racisme systémique.

Une nouvelle génération alerte

Certains pensent que Mme Lavergne offrirait une grande vitrine aux Nuits d’Afrique, alors que le festival fait danser Montréal et attire des artistes de renommée internationale depuis 1987.

Mais quand est-ce que les Noirs devront-ils cesser de porter un masque blanc pour atteindre le sommet ?

En tout cas, la nouvelle génération de la communauté noire, que Maka Kotto qualifie d’« individus » de la gauche radicalisée, et que d’autres surnomment « wokes », tient à montrer son visage et à se faire respecter.

Dans son texte intitulé « Une artiste blanche victime de discrimination », M. Kotto a écrit ceci : « Nous avons choisi le Vivre-ensemble au Québec ; l’interculturalisme. Pas le Vivre séparé ; bassin, incubateur du communautarisme, bassin versant de la discrimination, du racisme et de dérives sectaires ».

Ouf ! Faut-il rappeler que Maka Kotto est un homme noir et qu’il n’a pas osé dénoncer le manque de diversité culturelle de la vidéo promotionnelle du 375e anniversaire de Montréal ?

Ces paroles provenant d’un ex-politicien qui a œuvré au sein de partis politiques (le Parti Québécois et le Bloc québécois) qui prônent la sécession et qui rejettent, à tort ou à raison, le vivre-ensemble canadien m’étonnent beaucoup.

Donc, si je comprends bien, le peuple québécois peut s’insurger contre le ROC et vouloir se séparer, mais les communautés noires doivent adopter ce que j’appelle le « mouripoulisme », c’est-à-dire baisser la tête et se taire dans les moments de discrimination ?

C’est ce genre d’injustice et de lâcheté que je continuerai toujours de condamner.

Et c’est ce qui a donné naissance au Gala Dynastie, aux groupes Zero Tolerance, Racisme systémique/Témoignage à travers le temps ainsi qu’à Black Business Atlas-Building Our Community, qui compte plus de 50 000 membres sur Facebook.

Non, Mélissa Lavergne n’a pas été victime de discrimination.

Elle a simplement été mal informée et mal conseillée par des gens qui sont nostalgiques des années 1980.


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Auteur

Gagnant du prix Rédacteur (rice) d’opinion aux Prix Médias Dynastie 2022, Walter Innocent Jr. utilise sa plume pour prendre position, dénoncer et informer. Depuis 2017, il propose aux lecteurs du magazine Selon Walter une analyse critique de l'actualité.

5 Commentaires

  1. Imaginons un instant un festival de musique québécoise à Toronto, animé par un anglophone ontarien. Quelle serait la réaction des québécois dit  » de souche » ? Ya pas assez de québécois pour animé notre festival ? A ma connaissance la seule émission radio anglophone qui passait des chansons francophones était animé par Jim Corcoran. Malgré tout le respect que peut avoir cela a t’il réellement ouvert plus de porte ? Alors, il me semble ce qui est bon pour  »nous » est aussi valide pour vous.

  2. Merci a toi Walter de nous tenir informé et surtout de l’analyse pertinente,tout en restant objectif.;et grâce à toi j’ai appris l’origine de la musique rock ,chaque fois que j’apprends tout ce que nous les afros a travers le monde avons accompli ou apporter a la société,c’est une jouissance indescriptible,merci walter et hâte de te lire

  3. Texte MAGNIFIQUE comme d’habitude ! Merci beaucoup frère pour tes analyses qui sont d’une grande pertinence.

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